Tonique et sous-dominante I et IV
Analysons les liens entre les accords de tonique (I) et de sous-dominante (IV).
En tonalité de fa :
- l'accord de tonique F est constitué des notes fa, la et do ;
- l'accord de sous-dominante B♭ est constitué des notes si♭, ré et fa.
Si on analyse la composition de ces accords, on peut remarquer les faits suivants :
Entre la tonique et la sous-dominante, il y a un intervalle de quarte, l'intervalle le plus consonant après la quinte. Le passage de l'accord I à IV est harmoniquement plaisant, il y a peu de dissonance.
La tonique (fa) est présente dans les deux accords, ce qui confère une certaine stabilité au passage de l'un à l'autre.
De la même manière qu'il n'y a qu'un demi-ton entre la sensible et la tonique, il y a le même demi-ton entre la médiante (ici la) et la sous-dominante (si♭). Cela contribue à faciliter les changements I -> IV et IV -> I.
Le mouvement I -> IV provoque une certaine tension, mais pas autant que le mouvement I -> V car la quarte est un intervalle plus étroit que la quinte. Similairement, le mouvement IV -> I provoque une certaine impression de résolution, mais pas autant que le mouvement V -> I, car l'accord IV ne contient ni la sensible, ni la dominante.
On pourrait donc penser que l'accord IV endosse le même rôle que l'accord V mais de manière un peu moins convaincante et qu'il n'est finalement pas très utile. Il n'en est rien — en fait, l'accord IV est particulièrement intéressant. Si sa fonction n'est pas aussi clairement définie que pour les accords I ou V, c'est ce qui le rend finalement plus ambigu mais aussi plus polyvalent.
Voyons quelques uns de ses usages.
Comme substitut de la dominante
On peut utiliser l'accord IV comme on utiliserait l'accord V : pour déstabiliser, introduire un mouvement. Mais comme on l'a dit, le désir de résolution n'est pas aussi intense, ce qui confère à une alternance d'accords I et IV une atmosphère un peu planante et envoûtante.
Heroin (intro) — The Velvet Underground
Dans Heroin, de The Velvet Underground, les accords D et G (I et IV en tonalité de ré) alternent tout au long du morceau, créant une atmosphère planante et hypnotique.
Question : comment sait-on qu'il s'agit des accords I et IV en ré, et pas I et V en sol (en sol, I = G, V = D) ?
Réponse : parce que la note ré, commune aux deux accords, est répétée sans interruption (on parle d'ostinato), établissant fermement la tonalité de D.
Heroin (riff) — The Velvet Underground
Observez la très efficace utilisation de la note commune aux deux accords D et G (ré), répétée tout le long du riff.
Préparation de la dominante
L'accord IV peut être utilisé comme point de passage entre la tonique et la dominante. Il sert alors à préparer, retarder, prolonger le mouvement I -> V qui devient I -> IV -> V. En tonalité de fa, cela donnerait le mouvement F -> B♭ -> C.
I IV V
Hallelujah (extrait) — Leonard Cohen
C Am
I heard there was a secret chord
C Am
That David played and it pleased the lord
F G C G
But you don't really care for music, do you?
C F G
Well it goes like this the fourth, the fifth
Am F
The minor fall and the major lift
G E7 Am
The baffled king composing hallelujah
Voici le premier couple de Hallelujah composée et interpretée par Leonard Cohen. La chanson est dans la tonalité de do.
On trouve une progression IV -> V à plusieurs endroits :
- sur « …but you don't really care about music do you ? », la progression IV -> V -> I ;
- sur « Well it goes like this, the fourth, the fifth… », une belle progression I -> IV -> V ;
- sur « …the major lift, the baffled king… » encore une progression IV -> V.
Essayez d'entendre comment chaque passage IV -> V correspond à moment de tension grandissante.
Comme relais de mi-hauteur
En musique moderne, le mouvement V -> I est tellement évident, tellement courant qu'il est pratiquement « obligatoire » — lorsque l'on entend un accord V, l'oreille s'attend à entendre un accord I, il n'y a pas vraiment d'élément de surprise.
Mais avec l'accord IV, cette attirance est moins importante. Lorsque l'on entend un accord IV, on ne peut jamais vraiment être certain de ce qui va se passer ensuite. Allons nous poursuivre notre route vers l'accord V ? Redescendre vers l'accord I ? Emprunter un chemin de traverse et nous diriger vers un autre accord ?
Pour reprendre la métaphore de la randonnée : imaginons que nous passions la nuit dans un refuge de mi-parcours ; entamerons nous la descente le lendemain, ou poursuivrons-nous jusqu'au sommet ? Cette ouverture des possibilités provoque un sentiment d'excitation tout particulier.
Par conséquent, l'accord IV provoque une tension, mais aussi un peu d'incertitude, d'indécision, de flottement…
C'est un excellent moment pour s'arrêter et « contempler le paysage ».
La vie en rose (extrait) — Edith Piaf
Ab AbM7
Il est entré dans mon cœur
Bbm
Une part de bonheur
Db
Dont je connais la cause.
Faut-il présenter « la Vie en Rose » chantée par Piaf !?
Dans la tonalité originale (A♭), l'accord IV (D♭) sert l'envolée sur « …je connais la cauuuuuse ».
Cold, cold heart — Hank Williams
D A7
I tried so hard my dear to show that you're my every dream
D
Yet you're afraid each thing I do is just some evil scheme
G
A memory from your lonesome past keeps us so far apart
A7 D
Why can't I free your doubtful mind and melt your Cold Cold Heart.
Un classique de Country en tonalité de ré. Ici, l'accord IV tombe sur « so faaar apaaaaaaaart ».
Retour vers la tonique
Du refuge de mi-hauteur, nous pouvons choisir de redescendre. L'accord IV peut être utilisé pour retourner vers la tonique dans un mouvement IV -> I. On parle alors de cadence plagale en harmonie classique.
I IV I
La cadence IV -> I offre un effet conclusif solennel, mélancolique, mystique, etc.
Yesterday (extrait) — The Beatles
F Em7 A7 Dm Dm/C Yesterday all my troubles seemed so far away Bb C7 Bb F C Dm G7 Bb F Now it looks as though they're here to stay oh I believe in yesterday
Dans « Yesterday » des Beatles, chaque couplet se termine par le mot « …yesterday » et une cadence B♭ -> F (IV -> I en tonalité de fa). Une atmosphère mélancolique qui correspond bien à la chanson dont le thème est le regret de l'amour perdu.
Halo (refrain) — Beyoncé
[…fin du premier couplet]
A
They didn't even make a sound
Bm
I found a way to let you in
F#m
But I never really had a doubt
D
Standing in the light of your halo
A
I got my angel now
[Pont]
Bm
It's like I've been awakened
F#m
Every rule I had you breakin'
D
It's the risk that I'm takin'
A
I ain't never gonna shut you out
Bm
Everywhere I'm looking now
F#m
I'm surrounded by your embrace
D
Baby I can see your halo
A
You know you're my saving grace
Bm
You're everything I need and more
F#m
It's written all over your face
D
Baby I can feel your halo
A
Pray it won't fade away
[Refrain]
A
I can feel your halo (halo) halo
Bm
I can see your halo (halo) halo
F#m
I can feel your halo (halo) halo
D
I can see your halo (halo) halo
A
Woooo…
Refrain de « Halo » interprété par Beyoncé, en tonalité de la. Dans la chanson, la chanteuse parle d'un amour qui se développe en dépit de fortes barrières émotionnelles érigées à la suite de précédentes déconvenues amoureuses.
L'interprète décrit son expérience comme allant au delà d'un simple sentiment pour représenter une véritable expérience métaphysique, son nouvel amour disposant d'un halo, à la façon d'un ange.
D'un point de vue harmonique, un point est digne d'intérêt : l'accord V (E en tonalité de la) n'apparaît pas une seule fois, ce qui est assez exceptionnel.
En revanche, le terme « halo » tombe quasi-systématiquement sur un accord IV (ici, D), suivi par un retour à la tonique qui marque un nouveau cycle dans la progression d'accord, avec une intensité qui va crescendo.
La cadence plagale mineure
Il existe un procédé très courant qui consiste à intercaler une version mineure de l'accord IV dans la cadence plagale, ce qui donne un mouvement IV -> iv -> I. En fa, cela nous donnerait la progression B♭ -> B♭m -> F. La sonorité de cette progression est très caractéristique et une fois qu'on apprend à la reconnaître, on l'entend dans de très nombreux morceaux populaires.
Imaginez que vous dormiez dans ce fameux refuge de mi-hauteur. Vous vous apprêtez à poursuivre votre randonnée mais un imprévu survient : peut-être découvrez-vous que vous avez oublié votre panier pic-nique ou une querelle éclate entre vos compagnons. Le temps de terminer votre balade, il vous reste une sensation d'amertume et de regret doux-amer. C'est un peu la même sensation que provoque la progression IV -> iv -> I.
I will follow you into the dark (refrain) — Death Cab for Cutie
Am C F C G
If heaven and hell decide that they both are satisfied,
Am C G
illuminate the "no"s on their vacancy signs.
Am C E Am
If there's no one beside you when your soul embarks
F Fm C
then I'll follow you into the dark.
Traduction du premier couplet : « Mon amour, un jour tu mourras, mais je serai le suivant ; je te suivrai dans le néant ». Boum ! le ton est posé !
Une très belle chanson — douce-amère, sombre et mélancolique — qui évoque l'amour qui dure mais qui, fatalement, rencontrera un jour sa fin avec la mort des partenaires.
Le refrain termine par la progression F -> Fm -> C (IV -> iv -> I) sur les paroles « I'll follow you into the dark » (je te suivrai dans le néant) ; une simple progression qui évoque parfaitement la joie et la douceur du sentiment partagé, mais aussi le regret anticipé de la fin de cet amour.
Make you feel my love (extrait) — Adele
G D When evening shadows and the stars appear F C And there is no one there to dry your tears Cm G I could hold you for a million years A7 D7 G To make you feel my love.
Chanson en tonalité de sol. Repérer la progression IV -> iv -> I est laissé en exercice.
Cette progression d'accord est particulièrement évocative et bien utilisée, elle peut être déchirante.
En résumé
L'accord de sous-dominante IV est l'un des plus polyvalent au sein de la gamme.
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