Les dominantes secondaires
Il existe un mécanisme relativement courant utilisé pour construire ou prolonger des progressions d'accords : il s'agit de la dominante secondaire.
Étudions un exemple.
« Madeleine » de Brel
Madeleine — Jacques Brel
Au cours des premières phrases, on alterne régulièrement entre les accords C et G7. À ce stade, vous devriez reconnaître relativement facilement qu'il doit s'agir des accords I et V7 de la tonalité de do.
Les choses deviennent intéressantes quand la progression d'accords passe d'un C à un C7 lorsque Brel chante « Madeleine, c'est mon Noël… ».
L'accord I (C) est bien à sa place, mais que signifie cet accord C7 (que nous noterons « I7 » pour le moment) ? Il ne fait pas partie de la gamme de do ! Pour comprendre ce qui se passe, il faut étudier les phrases suivantes. Brel enchaîne avec « C'est mon Amérique à moi » sur un accord F. F est l'accord IV de la gamme de do, mais il y a quelque chose d'intéressant dans le mouvement C7 -> F. Devinerez-vous quoi ?
Eh bien, entre do et fa, il y a une quarte, F est donc l'accord IV de la gamme de do. Mais entre fa et do, il y a une quinte, ce qui signifie que C est l'accord V de la gamme de fa. Autrement dit, C7 est à F ce que G7 est à C.
Gamme de fa harmonisée
Ainsi, la progression C -> C7 -> F, que l'on serait tenté d'analyser comme I -> I7 -> IV peut en fait être comprise comme I -> V/IV -> IV. La notation V/IV (on dit « 5 de 4 ») signifie « l'accord V dans la gamme dont la tonique est la fondamentale de l'accord IV ».
Si l'on continue l'analyse, on trouve un autre exemple juste après. Entre « Même qu'elle est trop bien pour moi » et « Comme dit son cousin Joël », on a la progression d'accord D7 -> G7. Vous aurez compris que D7 est l'accord V de l'accord V. La progression D7 -> G7 s'analyse comme V/V -> V.
Gamme de sol harmonisee
Les progressions I -> V/IV -> IV et V/V -> V sont très courantes.
Fonctionnement des dominantes secondaires
Ce mécanisme qui consiste à intercaler un accord de dominante secondaire pour retomber sur un accord de la gamme présente de multiples avantages.
D'abord, cela fluidifie beaucoup le passage d'un accord à l'autre. Quand on passe de l'accord I à l'accord I7, c'est comme si on prenait son élan pour finalement mieux sauter vers l'accord IV.
Ensuite, cela permet de créer des chaînes de résolutions, car il est possible d'enchaîner les dominantes secondaires (5 de 5 de 5 de 5…)
Enfin, cela permet de faire intervenir de manière assez naturelle des notes étrangères à la gamme et d'ainsi enrichir la sonorité du morceau sans en perdre la tonalité.
En règle générale, quand vous voyez un accord de septième n'appartenant pas à la tonalité originale, il s'agit presqu'à coup sûr d'une dominante secondaire.
Le Grand Chêne (extrait) — Brassens
En résumé
La progression V -> I est tellement puissante qu'il est possible d'« emprunter » à une autre gamme des accords V pour créer des dominantes secondaires.