Les modes

Qu'est-ce qu'un mode ?

Le concept de mode est sans doute celui que j'ai eu le plus de mal à comprendre en musique.

Pas parce qu'un mode est quelque chose de particulièrement complexe ; ni parce que ma capacité cérébrale est particulièrement limitée (encore que je ne pourrai jamais en être certain).

À vrai dire, un mode est une chose très simple.

Mais les modes sont en général assez mal expliqués, ou pas de manière très précise.

Alors, qu'est-ce qu'un mode ?

Entrons tout de suite dans le vif du sujet en donnant une définition basique de ce qu'est un mode.

Un mode est une version un peu modifiée de la gamme majeure ou de la gamme mineure, ce qui permet d'en changer la sonorité, et donc d'exprimer des choses un peu différentes.

C'est aussi simple que ça ? À peu de choses près, oui.

Pour des raisons historiques, les différents modes portent des noms assez pittoresques et évocateurs : Dorien, Lydien, Mixolydien, Phrygien, Saint-Marcellin, etc.

Voici par exemple la gamme de do mixolydien :

Do mixolydien

La gamme de do mixolydien.

Téléchargez le fichier source

Voici un exemple de mélodie écrite à l'aide de ce mode :

Norwegian Wood

« Norwegian Wood » est un très beau morceau des Beatles, dont la mélodie principale utilise le mode de mi mixolydien.

Ici, un petit arrangement naïf pour bien mettre les caractéristiques de cette gamme en évidence.

Dans la gamme de mi majeur, le septième degré de la gamme correspond à un ♯. En mi mixolydien, on remplace cette note par un .

Dans cet extrait, cette note n'apparaît qu'une fois : cherchez le bécarre (♮) dans la partition (note : le bécarre « ♮ » indique qu'on supprime l'altération précédemment définie pour cette note).

Cela va évidemment modifier la composition des accords de la gamme : en l'occurrence, l'accord du cinquième degré, au lieu d'un B7, devient un Bm7.

Téléchargez le fichier source

Pour rigoler, voici la même mélodie si elle était écrite avec le mode majeur classique que nous connaissons désormais, vous entendrez qu'on perd la saveur du morceau :

Norwegian Wood (en majeur)

Le même extrait que plus haut, mais en remplaçant le mode mixolydien par le mode majeur classique.

Téléchargez le fichier source

D'où vient la sonorité d'une gamme ?

Puisque nous venons de terminer le module sur le mode mineur, vous devriez maintenant être familier avec l'idée qu'il existe plusieurs gammes, que chaque gamme dispose de sa propre « couleur » ou sonorité, et que la sonorité d'une gamme provient notamment de la répartition des intervalles entre les notes successives.

Nous n'avons étudié que deux gammes : la gamme majeure (sonorité plutôt limpide, claire, directe) et la gamme mineure et ses dérivées (sonorité sombre, ténébreuse, triste, etc.)

Il existe une infinité de gammes, plus exotiques et artificielles les unes que les autres.

Mais quand on parle de modes, on pense généralement aux gammes diatoniques « naturelles », c'est-à-dire aux gammes qu'on peut construire grâce à l'algorithme de Pythagore.

Pourquoi les modes sont souvent mal expliqués

Il peut être difficile d'expliquer les modes pour plusieurs raisons.

D'abord, parce que comme souvent en musique, le concept de « mode » a évolué dans le temps pour signifier des choses un peu différentes en fonction des époques.

Il est difficile de ne pas s'emballer en donnant beaucoup de contexte sur ce qui fait que les modes sont ce qu'ils sont aujourd'hui.

Par exemple, les modes portent des noms assez pittoresques : Dorien, Lydien, Mixolydiens, etc. Des noms bien complexes pour des concepts finalement assez simples.

Ensuite, parce que le vocabulaire musical, à cause justement de ses origines historiques très anciennes, peut se révéler plein d’ambiguïtés. Par exemple, on parle parfois de musique modale (un concept que nous n'avons pas encore étudié), qu'on oppose parfois à la musique tonale. Or, la musique modale n'est pas nécessairement liée à l'utilisation de modes.

Ensuite, parce que 99% des cours sur les modes expliquent comment construire les modes mais pas à quoi ils servent.

Enfin, parce qu'il existe plusieurs moyens de construire un mode donné. Ces méthodes de constructions sont autant de façons différentes de penser et d'expliquer les modes.

Si vous essayez de comprendre les modes et lisez plusieurs explications complètement différentes, même si elles parviennent au même résultat, vous ne pourrez qu'être plongé·e dans la plus totale confusion.

Les différentes façons d'expliquer un même mode

J'ai recensé trois façons différentes de construire et d'expliquer un mode donné. Chaque article ou livre sur les modes donne une ou l'autre de ces explications, ou une combinaison originale, ce qui a longtemps été à l'origine de ma confusion.

Si vous êtes dans le même cas que moi, peut-être que le fait de recenser ces trois explications de manière explicite aidera à dissiper votre incompréhension.

Le mode comme gamme indépendante

La première façon d'expliquer un mode est la plus simple : un mode est une gamme diatonique comme les autres. Point.

C'est une gamme de sept notes, séparées entre elles par des tons ou demi-tons. Cette répartition de tons et demi-tons donne ses caractéristiques et sa couleur à la gamme.

Avec cette explication, tous les modes sont égaux : les gammes majeure et mineure ne sont que deux exemples parmi les différents modes existants.

D'ailleurs, la gamme majeure possède un nom : il s'agit du mode Ionien. La gamme mineure possède également un nom : il s'agit du mode Éolien.

Cet exemple dynamique requiert un navigateur avec Javascript activé.

Rappel : la méthode de Pythagore consiste à empiler des quintes et des quartes sur une note de départ pour construire une gamme de sons consonants. Ici, les quintes en bleues (petits pointillés) et les quartes en saumon (grands pointillés). En adaptant le nombre de quartes et quintes, on peut construire tous les modes.

Historiquement, c'est bien ainsi que les musiciens considéraient les choses. Les modes Ionien et Éolien n'ont acquis un statut à part que plus récemment (pensez « époque classique », aux alentours du XVIe).

En adoptant ce point de vue, un compositeur pourra par exemple se dire : « je veux exprimer tel message dans ma musique, je vais donc utiliser ce mode pour sa sonorité qui évoque telle émotion ».

Doctor Who, Theme (basse)

Le thème intemporel de la fameuse série « Doctor Who » fait figurer cette sympathique ligne de basse en mi phrygien, un mode fréquemment utilisé pour sa sonorité sombre et mystérieuse.

Téléchargez le fichier source

Le mode comme modification du majeur ou mineur

Avec les siècles, certains modes ont pris le pas sur les autres jusqu'à acquérir un statut spécial. Ce sont les modes que nous considérons maintenant comme « mode majeur » et « mode mineur ».

Puisque 99% de la musique moderne est écrite en utilisant le gamme majeure ou la gamme mineure, on aura tendance à concevoir les autres modes comme de simples adaptations de ces gammes « maîtresses ».

Par exemple, si on abaisse le septième degré d'une gamme majeure d'un demi-ton, on retombe sur le mode mixolydien. Si on augmente le sixième degré d'une gamme mineure naturelle, on obtient le mode dorien.

Le résultat est exactement identique. C'est simplement le point de vue et la méthode de construction qui change.

Ainsi, un compositeur pourra se dire « je veux que ce passage de ma musique exprime telle émotion, je vais donc élever ou abaisser telle degré pour lui conférer une sonorité dorienne, ou phrygienne, ou mixolydienne, etc.

Le mode comme centre tonal déplacé

La dernière façon de construire un mode donné est la plus simple, c'est sans doute pour cela qu'elle est souvent mise en avant ; c'est malheureusement la moins utile.

Un mode peut être considéré comme une gamme existante mais avec un centre tonal déplacé.

Par exemple, si je prends la gamme de do majeur, et que je joue toutes les notes en partant de la note sol — comme si sol était la tonique au lieu de do —, la gamme obtenue sera très exactement la même que sol mixolydien.

Cela conduit un nombre invraisemblable de musiciens à proférer que « mixolydien est le mode de sol » ce qui n'a absolument aucun sens et m'a très longtemps plongé dans les affres de la plus totale confusion.

Si vous partez d'une autre gamme majeure, par exemple fa♯ majeur, et que vous jouez toutes les notes en partant du cinquième degré (do♯), vous obtenez… do♯ mixolydien, plus rien à voir avec un quelconque mode de sol.

Cette façon de considérer les modes peut avoir son utilité, notamment dans les musiques improvisées comme le Jazz. Nous y reviendrons.

Conclusion

Cette entière leçon n'avait qu'un seul but : vous convaincre qu'un mode n'a rien de compliqué.

En résumé

Si vous ne comprenez pas ce qu'est un mode, c'est que vous vous faites des nœuds au cerveau. Ce n'est pas entièrement votre faute, la pédagogie autour des modes est souvent assez lacunaire.

Rejoignez la newsletter

Illustration : une guitariste joue sur une chaise

Infos sur la vie du site, promos exclusives et alertes sur les dernières publications. Un e-mail par mois. Pas de spam.

Conditions générales / politique de confidentialité.