Le mode mineur

Modulations majeur / mineur

Nous avons à peu près fini d'étudier le mode mineur. Jusqu'ici, nous avons considéré que mineur et majeur étaient deux modes exclusifs, mais il n'en est rien. Au contraire, mélanger les deux modes peut produire des effets particulièrement intéressants.

Les gammes mineures relatives

Jetons un œil au concept de gammes relatives. D'ailleurs, pour être rigoureux, on parlera plutôt de tonalités relatives.

À titre d'exemple, observons les deux gammes suivantes :

Gamme de do

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Gamme de la mineur

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La gamme de do majeur est constituée des notes suivantes : do, , mi, fa, sol, la et si. Ce qui permet d'obtenir par harmonisation les accords C, Dm, Em, F, G, Am et B°.

La gamme de la mineur est constituée des notes suivantes : la, si, do, , mi, fa et sol. Ce qui permet d'obtenir les accords Am, B°, C, Dm, Em, F et G.

Prenez quelques secondes pour bien observer ces deux suites de notes et d'accords ; qu'observons-nous ?

À l'ordre près, ce sont exactement les mêmes ! Deux gammes qui partagent les mêmes notes, dans un ordre distinct, sont appelées « gammes relatives ».

Les gammes relatives ne sont pas « les mêmes gammes »

Attention, en lisant certains livres ou articles un peu trop rapidement, on pourrait avoir l'impression que do majeur et la mineur sont en fait une seule et même gamme, ou qu'il n'y a pas de différences entre les deux.

Ce serait pourtant une grossière erreur de les confondre  !

Si vous avez bien suivi les précédents modules, vous avez compris que dans une gamme, chaque note, chaque accord a une place et un rôle.

Par conséquent, la note do n'a pas du tout le même rôle au sein des tonalités de do majeur ou la mineur ; la note la n'aura pas le même impact émotionnel dans une mélodie en tonalité de do ou de la.

Il est donc important de bien avoir cette avoir cette distinction à l'esprit.

À quoi servent les gammes relatives ?

Si une gamme majeure et sa relative mineure sont bien deux entités distinctes, quel est l'intérêt pour nous de considérer leur relation particulière ?

L'utilité la plus évidente est de servir de pense-bête. Vous savez comment jouer la gamme de do majeur ? Sans trop vous casser la tête, vous arriverez à retrouver la mineur sur votre instrument.

Mais l'intérêt principal est le suivant : le fait que deux gammes possèdent des fondations communes (les même notes) fait qu'il devient très facile d'établir des ponts entre les deux en établissant des modulations.

Pour que les choses soient bien claires, étudions un exemple.

Les sabots d'Hélène (couplet + refrain)

Un morceau en tonalité de (D).

(D)              G  A                D
Les sabots d'Hélène étaient tout crottés
Bm             Em               A           D
Les trois capitaines l'auraient appelée vilaine
D                 Em                     F#
Et la pauvre Hélène était comme une âme en peine
Bm                     F#           Bm                        F#
Ne cherche plus longtemps de fontaine toi qui as besoin d'eau
Bm                      F#           Bm
Ne cherche plus, aux larmes d'Hélène
               E7   A7   D
Va-t'en remplir ton seau

En analysant la progression d'accord correspondante à la première strophe, on reconnaît un schéma désormais bien connu :

  1. D (qui est ici implicite, on l'entendra sur les couplets suivants) -> I -> Tonique ;
  2. G -> IV -> Sous-dominante ;
  3. A -> V -> Dominante ;
  4. D -> I -> Retour à la tonique.

La deuxième strophe est identique dans sa structure, avec quelques variations pour éviter la monotonie.

  1. Bm -> vi -> Tonique ;
  2. Em -> ii -> Sous-dominante ;
  3. A -> V -> Dominante ;
  4. D -> I -> Retour à la tonique.

Observons maintenant la progression d'accords du refrain (à partir de « Ne cherche plus longtemps de fontaine… »).

Ici, on alterne régulièrement les accords Bm et F♯. Si vous êtes bien réveillé·e, vous observerez peut-être que l'accord F# ne fait pas partie de la gamme de . En revanche, il correspond à l'accord V de la gamme de si mineur harmonique.

On peut donc estimer que le refrain n'est plus en tonalité de majeur mais qu'on a une modulation dans la mineur relative : si mineur.

La modulation entre une tonalité majeure et sa mineure relative se fait ici de manière très naturelle et quasiment transparente, ce qui illustre bien l'intérêt de comprendre le lien entre les deux.

Expliquer les méthodes pour utiliser de telles modulations serait ici hors-sujet et constituera un module à part entière.

Comment retrouver la gamme relative mineure d'une gamme majeure (ou vice-versa) ?

Trouver la gamme relative mineure de n'importe quelle gamme majeure est très simple. Il suffit de partir du sixième degré.

Exemple avec la gamme de si♭ : si♭, do, , mi♭, fa, sol, la.

Le sixième degré est sol.

La relative mineure de si♭ est donc la gamme de sol mineure naturelle : sol, la, si♭, do, , mi♭, fa.

Avec un peu de logique, on comprends bien que trouver la gamme relative majeure d'une gamme mineure est tout aussi simple. Il suffit de partir du troisième degré.

Exemple avec la gamme de fa♯ : fa♯, sol♯, la, si, do♯, , mi.

Le troisième degré est la.

La relative majeure de fa♯ mineure est donc la majeur : la, si, do♯, , mi, fa♯, sol♯.

Toutes les gammes relatives

Vous pouvez aussi vous reporter à ce tableau pour retrouver facilement toutes paires de gammes relatives

Gamme majeure Gamme mineure
do la
sol mi
si
la fa
mi do
si sol
fa# / sol ♯ / mi
si
la fa
mi do
si sol
fa

Autres exemples de mélange majeur / mineur

Utiliser la gamme mineure relative permet d'effectuer une modulation majeur / mineur de manière très naturelle et subtile. Parfois, on veut au contraire que la modulation soit explicite.

Voici un exemple.

Le p'tit bonheur (couplet + refrain)

    Am                                   Dm
C'est un petit bonheur que j'avais ramassé,
                 E7                         Am
Il était tout en pleurs, sur le bord d'un fossé.
                                          Dm
Quand il m'a vu passer, il s'est mis à crier :
                  E7                    Am
« Monsieur ramassez-moi, chez vous amenez-moi ».

    A                               A7             D
Mes frères m'ont oublié, je suis tombé, je suis malade.
   B7                                                 E7
Si vous ne me cueillez point je vais mourir quelle ballade.
   A                           A7             D
Je me ferai petit tendre et soumis je vous le jure.
    B7              E7            E            A    Am
Monsieur je vous en prie délivrez-moi de ma torture

Dans la chanson « le p'tit bonheur » de Félix Leclerc, on alterne couplets en la mineur et refrains en la majeur. Le fait d'alterner les deux modes en conservant le même centre tonal rend la modulation très explicite, ce qui évoque bien les hauts et bas du personnage.

Une touche de majeur dans le mineur

Si vous servez des haricots à vos enfants, ils risquent de tirer un peu la tronche. Mais si vous leur aviez promis un délicieux plat de lasagnes maison juste avant, vous risquez d'assister à une crise dont vous vous souviendrez longtemps.

La même idée s'applique en musique. Pour écrire une chanson triste, on peut utiliser le mode mineur. Mais que fait-on pour créer une complainte vraiment déchirante ? Eh bien, on ajoute une touche de majeur pour déclencher un véritable ascenseur émotionnel.

Paddy's Lamentation — De Dannan

Une chanson traditionnelle irlandaise racontant l'histoire du pauvre Paddy, fuyant la famine de son pays natal pour se retrouver forcé de combattre dans la Guerre de Sécession.

Bm
Well, it's by the hush me boys,
A
and sure that's to hold your noise,
B                            Bm   F#
and listen to poor Paddy's sad narration.
Bm                              A
I was by hunger pressed and in poverty distressed,
   G                     F#                Bm
so I took a thought I'd leave the Irish nation.

Bm        G      F#
Here's you boys, now take my advice,
B               F#                  Bm    F#
to America I'll have youse not be coming.
         Bm
There is nothing here but war
         A
where the murdering cannons roar
      G            F#                Bm
and I wish I was at home in dear old Dublin.

Dans « Paddy's Lamentation », ici magnifiquement chantée par Mary Black en si mineur, la tierce mineure (♭) est parfois remplacée par une tierce majeure (), ce qui rend les couplets suivants encore plus déchirants.

Essayez de repérer toutes ces micro-modulations.

Paddy's Lamentation

Dans la phrase « listen to poor Paddy's… », le « to » tombe sur un au lieu du ♭, créant une micro-modulation vers la tonalité majeure. Une touche d'optimisme qui ne fait qu'accroître l'impact des notes suivantes.

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En résumé

Il existe plusieurs façons de flouter la frontière entre majeur et mineur et de moduler entre les deux. Le mélange majeur / mineur peut produire des effets qui enrichissent la musique et augmentent son impact.

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Illustration : une guitariste joue sur une chaise

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