Toute la musique, tous les outils que nous avons étudiés sont basés sur une seule gamme : la gamme diatonique que l'on désignera désormais sous le nom de « gamme majeure ».

Cette gamme est la plus « naturelle » possible, car elle est construite en se basant sur les propriétés physiques du son. Son harmonisation permet de donner naissance à l'harmonie fonctionnelle et en définitive à la tonalité.

Tout ceci est bel et bon.

Mais la gamme majeure est aussi limitée dans les possibilités expressives qu'elle offre.

Pour vous en convaincre, voici un exemple.

Composons une chanson avec la gamme majeure

Popstar en quête du prochain tube interplanétaire, je décide d'écrire une chanson sur mon chien qui s'est enfui ce matin. Soyez indulgent·e, c'est un exercice pédagogique.

Commençons par imaginer une petite progression d'accords très simple, en utilisant uniquement les outils dont nous disposons déjà.

| C  | Am | F  | G7 |
| C  | Am | F  | G7 |
| C  | F  | G7 | C  |

Il n'y a absolument rien d'original là-dedans et vous retrouverez la même progression dans des milliers de morceaux.

(Allô la Sacem ? Commencez à remplir des brouettes de billets !)

Analyse de la progression d'accords

Les premiers et derniers accords de la chanson sont un « C » (do), on peut donc très fortement suspecter que nous sommes en tonalité de do.

Pour analyser la progression, réécrivons la grille en remplaçant les noms d'accords par les degrés correspondants.

| I | vi | IV | V7 |
| I | vi | IV | V7 |
| I | IV | V7 | I  |

Chaque « case » du tableau signifie que l'on joue l'accord pendant une mesure.

La progression débute par les accords suivants :

1. I (C)
2. vi (Am)
3. IV (F)
4. V7 (G7)

…soit deux accords de tonique (I et vi) un accord de sous-dominante (IV) et un de dominante (V7). L'accord de dominante ramène au début du cycle suivant.

D'un point de vue musical, cette progression pourrait sommairement exprimer les choses suivantes :

1. accord de tonique = accord majeur = situation initiale : je me lève le matin, je m'apprête à prendre le petit déjeuner, tout va bien.
2. deuxième accord de tonique = accord mineur = quelque chose cloche : je m'aperçois que la porte est ouverte, mon chien a disparu.
3. accord de sous-dominante = accord majeur = péripéties : je sors dans la rue, je cherche mon chien, je vais bien finir par le retrouver.
4. accord de dominante = accord majeur septième = point culminant des péripéties : j'aperçois enfin Fifi en train de fouiller dans les poubelles. Le soulagement m'envahi. Au pied !

Fin de la progression

La progression se répète une fois, afin d'ajouter un autre couplet et de prolonger un morceau déjà bien court.

Puis, la chanson termine avec une progression un peu différente :

• I (C)
• IV (F)
• V7 (G7)
• I (C)

Nous avons simplement sommes toujours dans de l'ultra-classique avec une progression Tonique -> Sous-dominante -> Dominante -> Retour à la tonique.

Cette progression est parfaite pour exprimer le point culminant de nos aventures matinales avant le retour à la normale : après avoir traversé le voisinage en pantoufles, nous ramenons finalement le chien à la maison, il ne nous reste plus qu'à faire réchauffer le café, tout est bien qui fini bien.

Un arrangement majeur

Ne faisons pas les choses à moitié : imaginons comment nous pourrions donner vie à cette progression si nous voulions vraiment composer quelque chose.

The Dog Rock

• Groupe

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On se rapproche moins de Brassens que des Musclés, mais vous aurez compris l'idée. Si les paroles vous semblent stupide, attendez de lire la traduction de vos morceaux de rock préférés.

Analyse de l'arrangement

Il s'agit d'une « composition » plutôt basique ; dans un véritable morceau, il y aurait une structure (intro, couplet, refrain, breaks, solos, etc.) et un arrangement un peu plus subtil. Mais n'oublions pas que l'objectif reste pédagogique.

D'abord, la batterie marque les temps grâce à un schéma ultra-classique répété sur chaque mesure : « Boum ! Tchic ! Boum Boum Tchic ! »

The Dog Rock (batterie)

• Batterie

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La basse, utilisée de manière assez basique, occupe le côté grave du spectre sonore et souligne l'harmonie en jouant de manière répétitive la note fondamentale de chaque accord.

The Dog Rock (basse)

• Basse

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Le piano a un rôle rythmique autant qu'harmonique : il joue les accords complets de manière très répétitive.

The Dog Rock (piano)

• Piano

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La guitare électrique contribue au rythme en jouant les accords, uniquement sur les cordes les plus aiguës et de manière piquée (de manière très brève).

The Dog Rock (guitare)

• Guitare

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Enfin, la voix chantée fournit la mélodie. Les notes jouées proviennent principalement de l'accord sous-jacent.

The Dog Rock (voix)

• Chant

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Mais quand tout ne fini pas bien ?

La musique est un langage qui permet de raconter des histoires, et les outils dont nous disposons actuellement sont parfaits lorsque nos histoires se terminent bien.

Mais que se passe-t-il si mon histoire ne se termine pas bien ?

Et si je ne retrouve pas mon chien ? S'il se fait écraser sous mes yeux ? Par ma propre voiture qu'on vient de me voler ? Que le voleur est mon voisin qui s'enfuit avec mon / ma partenaire qui me trompe depuis des mois ? Et qu'en plus, je m'aperçois en rentrant chez moi qu'il n'y a plus de café ?

Imaginons des paroles sinistres sur la même mélodie : le résultat ne serait pas poignant, il serait burlesque.

The (not so) Sad Dog Rock

Mon compagnon d'enfance vient d'être percuté par un camion de livraison Amazon Prime, et pourtant je ne me sens pas plus ému que si je venais de me couper le doigt avec une enveloppe.

• Chant

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La musique doit pouvoir exprimer toutes sortes d'émotions, des plus joyeuses aux plus sinistres. Or, si la gamme étudiée jusqu'à maintenant est parfaite pour exprimer des émotions plutôt positives, elle est moins adaptée pour transmettre un message un peu plus noir.

Pourquoi la gamme majeure est limitée

La gamme majeure présente une caractéristique importante : tous les accords correspondants aux principaux degrés (I, IV et V) sont des accords majeurs.

On a vu que l'accord de tonique est l'accord qui correspond à la situation initiale mais aussi à la fin, au dénouement, au retour à la normale. Or, avec la gamme utilisée jusqu'à présent, l'accord de tonique est toujours un accord majeur.

Si l'accord majeur possède une sonorité globalement stable, sereine, joyeuse, etc. il ne sera pas impossible d'exprimer une histoire qui se termine mal, mais ce sera plus difficile.